La date à laquelle les Juifs se sont implantés en Chine varie selon les auteurs et les chercheurs. Souvent, des dates sont évoquées sans qu’il n’y ait toutefois de preuve à la base comme nous le verrons tout au long de ce premier chapitre.
Il faudrait, pourtant, souligner qu’il existe une confusion sur le plan terminologique car, parfois, en parlant de l’entrée des Juifs en Chine, on voulait désigner l’arrivée à Kaïfeng dont le nom subit plusieurs transformations au cours de l’histoire. Ainsi, nous ferons la distinction entre ces deux termes comme on pourra le voir dans le tableau récapitulatif à la fin de ce chapitre.
La toute première allusion au fait qu’il y a eu des Juifs en Chine provient du verset biblique situé dans la prophétie d’Isaïe XLIX, 11 à 13 la promesse qu’à la fin des temps, les Juifs dispersés aux quatre coins de la terre, reviendront non seulement des quatre coins du monde mais il est mentionné expressément qu’ils reviendront aussi de Chine : “Je transformerai toutes mes montagnes en chemins faciles et mes routes seront rehaussées. Voici venir les uns de pays éloignés, voici venir les autres du Septentrion et du Couchant, d’autres arrivent du pays de Sinim. Cieux, jubilez, terre sois dans l’allégresse, et vous, montagnes, entonnez des chants joyeux !”
Ce verset peut-il constituer ici une première allusion au fait que des Juifs étaient déjà installés en Chine ? Le Prophète Isaïe ayant vécu pendant l’exil de Babylone[1], aurait pu être informé du fait que les Juifs étaient arrivés dans l’Empire du Milieu et donc, en connaissance de cause, il aurait pu comprendre dans sa prophétie que les exilés reviendront du pays des « sinim » (chinois).
Depuis, au long des dizaines de siècles écoulés, des voyageurs juifs ou arabes ont entrepris de longs et fastidieux voyages pour retrouver les descendants des dix tribus perdues.
Le Grand Rabbin Ovadia Yossef a reconnu en 1973 que les Juifs d’Ethiopie étaient des descendants de la tribu de Dan tout comme le sont les Juifs du Yémen et le Grand Rabbin Shlomo Amar a déclaré que sans aucune erreur la communauté qui se nomme “Bné Menashé” peut en effet être considérée comme descendant de la tribu de Menashé[2].
Cependant, aucun de ces deux personnages éminents ne s’est exprimé au sujet des Juifs de Chine. Le voyageur juif Eldad Hadani au IXème siècle rendit visite aux communautés qu’il rencontra sur son passage et déclara que les descendants des tribus de Zevouloun se trouvaient en Chine. Cependant le manque de précision empêche de considérer cette source comme exacte et digne de foi comme ce fut le cas pour les récits de voyages consignés par Benjamin de Tudèle, voyageur juif du XIIème siècle[3] qui ne sert de référence en raison du peu de précision qui caractérise ses descriptions.
La Tradition juive nous enseigne que les tribus de Benjamin et de Judas ainsi qu’une partie de la tribu de Lévy ont seules traversé les siècles sans perdre leur identité.
Tout au long des chemins empruntés par les négociants attirés par le commerce de la soie ou des épices, des foyers juifs furent fondés dans des villages, des villes, situés à des points de relais. Certaines cités devinrent des communautés juives florissantes.
Des commerçants juifs ne faisaient qu’y passer cherchant un simple abri, d’autres s’y établirent et contractèrent des unions avec des femmes habitant la région. Puis, au gré des mouvements naturels, des migrations, certaines communautés juives disparurent totalement certaines autres se maintinrent, comme ce fut le cas de Kaïfeng en Chine.
On ne peut fixer de date précise au sujet de l’implantation des Juifs en Chine, car nous n’avons que peu de preuves véritables ; de nombreuses hypothèses, seulement, ont été émises.
Sur le plan de fouilles archéologiques, les chercheurs, au début du XXème siècle, n’ont trouvé que des manuscrits prouvant l’existence de communautés juives dans l’Empire du Milieu mais rien ne nous permet de manière évidente de fixer une date d’arrivée, bien qu’ait été avancée la date de 718 (après JC) pour l’origine des documents trouvés lors des fouilles, mais, cela ne prouve que l’existence de la communauté en cette période mais pas sa date d’arrivée.
En revanche, on pourra comprendre que les Juifs sont arrivés en Chine par vagues successives et non pas forcément en une seule fois.
C’est surtout grâce aux rapports écrits par des missionnaires, que s’est profilée la possibilité de déterminer une ou plusieurs périodes pendant lesquelles se seraient produites ces vagues d’immigration.
Les stèles de pierre qui étaient apposées à l’entrée de la synagogue de Kaïfeng vont, elles aussi, nous permettre d’avoir une date approximative de l’installation des Juifs dans la ville de Kaïfeng comme nous le verrons dans le sous-chapitre consacré aux” stèles”.
Nous allons rapporter ici les différentes hypothèses permettant d’évaluer les diverses possibilités de l’arrivée des Juifs dans l’Empire du Milieu.
Les évènements historiques rapportés ne sont pas toujours les mêmes selon les sources que les auteurs cités consultèrent. Cependant, des sinologues éminents des XVIIIème et XIXème siècles tels : Jean-Pierre Abel-de-Rémusat (1788-1832), le Baron Antoine Isaac Silvestre de Sacy (1758-1838), Joseph de Guignes (1721-1800) et le fils de ce dernier, diplomate et éminent sinologue, Chrétien-Louis de Guignes (1759-1845) se sont penchés sur l’histoire de la Chine.
Après avoir fait leurs recherches, ils sont parvenus à la même conclusion : les premiers fondements de la monarchie chinoise ont été jetés par les descendants de Noé et voici d’après les sources chinoises comment les choses se seraient passées :
Les fils de Noé se répandirent en Asie Orientale ; leurs descendants pénétrèrent en Chine, environ 200 ans après le déluge[4]. C’est dans la province de Chen-Si (ShaanSi actuel) que les premiers peuples sortis du Couchant vinrent d’abord s’établir.
Plusieurs chefs de famille quittèrent alors cette province pour se fixer et se multiplier dans le Hé-Nan, Pé-Tché-Li et le Chan-Tong. Ces trois provinces reçurent de nouvelles colonies et leurs habitants, avec le temps, formèrent ensemble sous un seul souverain, un Etat qui ne s’étendait que vers le nord du Yang-Tseu-Kiang (le Fleuve bleu).
Le premier monarque chinois se nommait Fo-Hi et il eut six successeurs. La date à laquelle Fo-Hi monta sur le trône est pratiquement inconnue.
La Chronologie chinoise n’offre de garantie quant aux dates qu’à partir du règne de Yao (6ème successeur de Fo-Hi) et ce n’est donc qu’à partir de cette date (2357 avant l’ère vulgaire) que la Chronique est bien construite en faisant connaître le nom de chaque “empereur”, la durée des règnes, des divisions, révolutions, régences etc… Le tout, sans aucune altération. A partir d’une comparaison bien simple faite entre les données historiques sur les premiers empereurs chinois et les personnages cités dans le Pentateuque, on peut arriver à dresser une chronologie similaire dans la durée des règnes et la durée de la vie des hommes cités dans le Pentateuque.
Caroline Elisheva Ben Abou
[1]– Pendant le premier exil de Salmanasar vers -735.
[2]– Cependant, aucun de ces deux chefs spirituels ne se prononça quant aux Juifs de Kaifeng….
[3]– Benjamin de Tudèle a écrit à propos des Juifs de Chine qu’ils étaient “tous noirs” et avançait aussi des chiffres démesurés ce qui discrédita ses rapports de voyage. Voir LESLIE D.D.,The survival of the Jews of China, Leiden, Brill, 1972, p.10.
[4]-D’après la Genèse, le déluge eut lieu vers 1656 de la création du monde ou 2075 avant JC.